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Mémorial digital de la Shoah : ce dont on se souvient est vivant

  • Luxembourg Centre for Contemporary and Digital History (C2DH)
    Université / Administration centrale et Rectorat
    26 janvier 2022
  • Catégorie
    Recherche, Université
  • Thème
    Sciences humaines

La Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste se tient chaque année le 27 janvier pour commémorer la libération du camp de concentration d’Auschwitz par l’Armée rouge en 1945. La Journée honore les victimes du nazisme et garde leur mémoire vivante.

Le Centre for Contemporary and Digital History of Luxembourg (C²DH) de l’Université établit un Mémorial digital de la Shoah au Luxembourg pour scruter l’histoire du Luxembourg pendant l’occupation nazie. Le Mémorial, au-delà de la collecte de ressources de données, restitue et raconte l’identité personnelle, l’histoire et la vie de chaque individu, à travers des témoignages de témoins vivants et de la documentation connexe.

Entre l’accession au pouvoir du régime nazi en Allemagne en 1933 et la défaite de l’armée allemande en 1945, environ six millions de Juifs ont péri aux mains des forces allemandes, de leurs alliés militaires et de leurs associés civils. Même s’ils existaient auparavant, les mots « Holocauste » ou « Shoah » en hébreu sont presque universellement compris comme faisant référence aux événements génocidaires dans lesquels les Juifs étaient de loin la plus grande partie des victimes.

Le C²DH, dont les recherches portent sur l’histoire luxembourgeoise et européenne contemporaine, étudie l’histoire des guerres du XXe siècle au Luxembourg à l’aide d’outils de recherche numériques, technologiques et historiographiques innovants.

Parmi ces projets figure le Mémorial digital de la Shoah au Luxembourg. C’est un projet participatif qui a été initié pour rechercher, identifier, raconter les histoires des membres de la société luxembourgeoise de l’entre-deux-guerres qui ont été victimes de la législation raciale antisémite. Pour atteindre cet objectif, les chercheurs de ce projet travailleront avec les familles, les associations et les institutions patrimoniales, pour collecter et conserver la mémoire des persécutions de la Seconde Guerre mondiale.

Le Prof. Denis Scuto, directeur adjoint du C²DH, évoque le projet sous un angle historique, scientifique et national.

Comment le Mémorial numérique a-t-il été créé ?

Le projet est né d’un partenariat entre le C²DH et la Fondation Luxembourgeoise pour la Mémoire de la Shoah (FLMS), afin de construire une cartographie biographique et numérique des personnes ultérieurement persécutées car considérées comme juives en vertu des lois raciales, et afin de reconstituer la vie de ces personnes au Luxembourg avant la Shoah et décrire leur destin pendant la Seconde Guerre mondiale.

Le Mémorial a été initié par moi-même, Marc Gloden, historien et secrétaire de la FLMS, Blandine Landau, doctorante au C²DH et à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (Paris), Daniel Thilman, historien au C²DH et professeur d’histoire au Lycée Nic Biever Dudelange, ainsi que par Ori Elisar, web designer, Daniele Guido, développeur d’interface, et Lars Wieneke, responsable de l’infrastructure numérique au C²DH, en charge de la partie numérique. Le projet repose sur le principe directeur du « ce qu’on retient des vies », qui souligne l’importance d’identifier et de récupérer des itinéraires individuels dans une approche promue par la micro-histoire, permettant à la fois l’analyse scientifique et la compréhension pédagogique des victimes de la persécution.

Le Mémorial est destiné à accueillir des contributions aux niveaux national et international, de familles de victimes, de chercheurs, d’enseignants, d’étudiants, d’horizons et de pays divers, partageant l’idée centrale de redonner à chaque victime un visage, une identité, une biographie.

Nous essayons de retracer autant que possible la vie des membres de la communauté juive qui ont vécu au Luxembourg et ont été persécutés, déportés et assassinés pendant la Seconde Guerre mondiale. Nous cherchons à étudier et exposer l’environnement dans lequel ils vivaient et les groupes sociaux auxquels ils appartenaient au Luxembourg avant la Shoah, afin de garder vivante la mémoire des victimes dans le public et dans le système éducatif.

Plus important encore, le Mémorial est pleinement cohérent avec l’engagement national luxembourgeois de soutenir des projets de mémoire et d’éducation liés à la persécution et à l’assassinat de personnes considérées comme juives pendant l’occupation nazie et d’étendre l’indemnisation aux survivants ou aux proches. Il s’inscrit dans le cadre de l’Accord historique signé il y a exactement un an entre le gouvernement luxembourgeois et les représentants de la communauté juive, visant à promouvoir et financer des actions de compensation, de mémoire, d’éducation et de recherche sur la Shoah au Luxembourg.

Pouvez-vous décrire la méthodologie du Mémorial digital ?

Le Mémorial digital s’articule autour d’une plateforme numérique rassemblant les biographies des victimes et autres documents (photographies, extraits de documentaires et de témoignages, divers types d’images), et ouvrant des liens vers d’autres bases de données, des sites d’information ainsi que des archives, ce qui en fait un projet scientifique d’envergure, ouvert à tous.

Des bases de données déjà construites grâce à d’anciens projets de recherche, qui comptent environ 5 000 personnes enregistrées et persécutées car juives en vertu des lois raciales, recueillent et étudient des témoignages liés à des familles ou des individus juifs, en identifiant leur histoire de vie dans l’environnement spécifique vers lequel ils ont évolué, comme une rue ou quartier spécifique.

La conception graphique de la page de garde montre un paysage émouvant dans lequel chaque pierre fait référence à une ancienne tradition juive consistant à laisser une pierre sur la tombe d’un être cher comme symbole de la permanence de la mémoire. Cette page mène aux biographies personnelles et aux documents connexes, mais aussi aux outils de recherche, et plus tard aux cartes et autres supports visuels. Cette approche compréhensive permet de montrer les individus comme des sujets agissants dans le contexte général de leur vie familiale et de leurs groupes sociaux, combinant une démarche de documentation mémorielle et de recherche. Ce faisant, nous visons également à créer une relation interactive avec les visiteurs, les encourageant à contribuer et à devenir proactifs dans le projet, à participer à la rédaction de biographies. Ils ajouteront ainsi leur propre pierre – au sens figuré et numérique, car il devrait être possible pour les visiteurs du site de dédier une pierre et de l’ajouter dans le paysage de la page d’accueil.

Comment pouvez-vous décrire la communauté juive avant la guerre ?

En 1940, la communauté juive luxembourgeoise comptait entre 4 000 et 5 000 personnes juives. Parmi eux, il y avait des citoyens luxembourgeois, des résidents étrangers de longue durée et des réfugiés d’Europe de l’Est, d’Allemagne, de la Sarre, d’Autriche et d’autres pays européens, fuyant les pogroms et les persécutions. Les villes et lieux tels que Luxembourg, Esch, Differdange, Schifflange, Mondorf, Ettelbruck, Echternach, Medernach, Grevenmacher, Remich étaient connus pour leurs communautés juives dynamiques. Celles-ci étaient très actives dans la vie économique locale, dans de nombreuses branches (le commerce, l’artisanat, l‘industrie), et parmi eux se trouvaient des familles bien connues, comme les Rosenstiel ou les Sternberg.

Si l’on considère les membres de la « communauté juive » au sens religieux, ils n’étaient pas reclus dans des « ghettos » spécifiques mais étaient intégrés comme un élément de la diversité sociale, culturelle et religieuse du pays, aux côtés des communautés catholique, protestante et religieuse. Pourtant, l’existence d’un antisémitisme chrétien profondément enraciné était tangible dans tout le pays. Après l’invasion du Luxembourg par l’armée allemande, les lois raciales sont appliquées et visent d’abord les personnes considérées comme juives, qui sont ensuite d’abord discriminées, puis persécutées, déshumanisées et déportées dans les ghettos et les centres d’assassinat.

Des sites juifs et des synagogues au Luxembourg ont été détruits. Au total, environ 1 300 Juifs luxembourgeois ont été assassinés par les nazis. La Seconde Guerre mondiale a induit une grande perte de la diversité humaine et culturelle qui prévalait au Luxembourg avant la guerre. Nous ne pouvons que tenter de reconstituer cette histoire passée mais la richesse humaine et culturelle qui faisait partie de notre paysage a été en grande partie détruite. Le C²DH est impliqué dans d’autres projets de recherche liés à la mémoire de la communauté juive du Luxembourg.

Pouvez-vous donner quelques exemples ?

L’histoire de la communauté juive du Luxembourg est un élément très important de l’histoire contemporaine du pays, comme en témoignent de nombreux domaines que nous avons étudiés et investigués. L’un des thèmes principaux est l’histoire de la spoliation des biens juifs au Luxembourg dans les années 1930-50. Il existe d’importants projets de recherche en cours portant sur la dépossession d’individus juifs sous le régime nazi au Luxembourg entre 1940 et 1945 et sur la manière dont cette question a été traitée par la législation luxembourgeoise depuis 1945 jusqu’à nos jours. Ce projet de recherche, commandé par le gouvernement luxembourgeois, est une étape forte et hautement symbolique et reflète l’engagement du gouvernement à résoudre les questions en suspens relatives à la Shoah, y compris l’indemnisation financière des avoirs, la confiscation et la spoliation.

Un autre projet s’appelle « IWalk ». Il s’agit d’une application mobile de cartographie pour apprendre l’histoire juive au Luxembourg. Il a été initié par Jakub Bronec, doctorant au C²DH, en partenariat avec le Consistoire juif et la USC Shoah Foundation. L’application en ligne est une nouvelle manière d’enseigner l’histoire des Juifs au Luxembourg et son évolution pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit d’un programme éducatif interactif qui relie des lieux physiques avec des souvenirs d’événements historiques qui ont eu lieu sur ces lieux. Les utilisateurs, déambulant à travers différents chemins de la ville avec des tablettes, peuvent en même temps regarder des documents visuels de survivants de la Shoah et de témoins racontant des histoires personnelles sur le rôle des lieux dans leurs expériences.

De plus, une série d’événements, de conférences et d’ateliers liés à l’histoire de la communauté juive luxembourgeoise et à la Shoah sont organisés tout au long de l’année. Ils visent à préserver, étudier et diffuser les connaissances sur la Shoah. Ces événements comprennent le « Forum Z » organisé en octobre 2021 à l’occasion du 80e anniversaire du premier convoi de déportation à Litzmannstadt depuis la gare de Luxembourg dans la nuit du 16 au 17 octobre 1941, et les journées d’études internationales « Dispossess – Dispossessed » consacrée aux mécanismes de dépossession et à leur représentation en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale en juillet dernier.

Le Mémorial digital de la Shoah au Luxembourg est en cours de construction. De plus amples informations seront disponible en ligne : c2dh.uni.lu et fondluxshoah.lu

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