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Les ruisseaux glaciers vivent une importante mutation

  • Luxembourg Centre for Systems Biomedicine (LCSB)
    Université / Administration centrale et Rectorat
    27 avril 2022
  • Catégorie
    Recherche, Université
  • Thème
    Sciences de la vie & médecine

Deux publications en lien avec l’expédition scientifique « Vanishing Glaciers » montrent que les écosystèmes des ruisseaux des glaciers se transforment en profondeur sur toute la planète. Avec des répercussions potentiellement importantes sur la chaîne alimentaire et le cycle naturel du carbone.

Habitués depuis des millénaires à survivre dans un environnement extrême et pauvre en nutriments, les écosystèmes des ruisseaux glaciers sont aujourd’hui transformés par le changement climatique à un rythme sans précédent. C’est ce qu’affirment les scientifiques du Laboratoire de recherche en écosystèmes fluviaux (RIVER) de l’EPFL dans deux publications. Les deux études ont été réalisées en étroite collaboration avec le Luxembourg Centre for Systems Biomedicine (LCSB) de l’Université du Luxembourg et l’Université de sciences et technologies du Roi Abdullah. La première étude met en évidence la diversité et les stratégies d’adaptation du microbiome dans les cours d’eau alimentés par les glaciers. La seconde révèle que la décomposition de la matière organique dans ces ruisseaux s’accélère et que la structure du microbiome se modifie avec le recul des glaciers. À mesure que la décomposition de la matière organique s’accélère, ces cours d’eau pourraient donc devenir de plus importants contributeurs au cycle naturel du carbone.

Passage d’une oasis verte à une forêt

Le changement climatique allonge la durée du printemps et de l’automne aux pieds des glaciers. Selon la Nature Communications, ce changement a des répercussions majeures sur le microbiome de l’écosystème, qui jusqu’à présent s’apparentait à une oasis verte pendant les courtes périodes du printemps et de l’automne. À l’avenir, le microbiome des ruisseaux glaciers pourrait se d’avantage ressembler à une forêt. « Ces saisons sont d’importantes ‘fenêtres d’opportunité’ écologiques pour ces cours d’eau car les conditions environnementales sont alors moins dures », explique le professeur Tom Battin, responsable du laboratoire RIVER et auteur correspondant des deux publications. « Cela permet aux producteurs primaires de proliférer et de constituer la base énergétique de la chaîne alimentaire microbienne. »

Outre cette découverte, les scientifiques ont ouvert ce qui était jusqu’ici une boîte noire : le microbiome situé à l’intérieur de ces écosystèmes. Ils comprennent mieux désormais comment les différents micro-organismes se font concurrence ou s’entraident pour survivre dans un environnement aussi pauvre en nutriments, avec une alternance de périodes de gel et de fonte et de fortes radiations UV.

« Nos analyses métagénomiques ont montré comment diverses stratégies d’acquisition d’énergie et d’exploitation des ressources disponibles, ainsi que des adaptations génomiques aux conditions environnementales difficiles permettent aux biofilms de persister dans ces cours d’eau, » détaille Dr Susheel Bhanu Busi, premier co-auteur de l’étude et membre du groupe Systems Ecology au LCSB. Le groupe a apporté son expertise en matière de recherche sur le microbiome au projet « Vanishing Glaciers », aidant notamment à analyser les échantillons collectés dans les deux hémisphères.

Des mégapoles gluantes

Les scientifiques ont mis en évidence pour la première fois de possibles interactions métaboliques entre les algues et les bactéries, démontrant que les biofilms, sont très autonomes et peuvent recycler leurs flux d’alimentation. Une adaptation importante qui leur permet de survivre dans un écosystème pauvre en énergie. « Les scientifiques de notre domaine appellent ces biofilms des ‘mégapoles gluantes’ car ils abritent des millions de microbes englobés dans une matrice gluante attachée aux rochers, » explique Tom Battin. « Nous avons pu observer comment les différentes espèces travaillent ensemble au sein de ces mégalopoles afin de survivre. » Les équipes ont également fait d’autres découvertes cruciales, notamment l’existence d’un virome d’une richesse inattendue et des caractéristiques génomiques qui pourraient expliquer comment les bactéries sont capables de se protéger des températures glaciaires.

Une accélération du cycle naturel du carbone

Dans la Global Change Biology, les scientifiques ont constaté que dans les 101 ruisseaux glaciers du monde entier étudié, la matière organique se décompose plus rapidement à mesure que les glaciers se retirent. Parallèlement, ils ont pu associer ce processus à des composants distincts du microbiome. « Nous pouvons nous attendre à ce que la chaîne alimentaire de ces cours d’eau devienne plus verte à l’avenir, la production primaire devenant plus importante, » indique Tom Battin. « Avec ce changement, certaines espèces microbiennes peuvent disparaître et d’autres prospérer. Il y aura donc un changement sur toute la chaîne alimentaire. » La conclusion principale de cette étude souligne que plus les glaciers se retirent, plus leurs cours d’eau risquent de devenir d’importantes sources naturelles de CO2 dans l’atmosphère.

« Le microbiome constitue la base du réseau alimentaire, contrôlant les processus clés de l’écosystème, » ajoute le professeur Paul Wilmes, responsable du groupe Systems Ecology au LCSB et co-auteur de ces études. « Comprendre comment le changement climatique affecte ces communautés microbiennes nous aidera à anticiper la façon dont les cours d’eau alimentés par les glaciers, des écosystèmes particulièrement vulnérables, vont évoluer avec le réchauffement de la planète et le recul continu des glaciers. »

Dernière étape : l’Alaska

Ces études font partie du projet « Vanishing Glaciers » – un projet de recherche de quatre ans basé à l’EPFL et financé par la Fondation NOMIS. Depuis 2018, les scientifiques du Laboratoire RIVER prélèvent des échantillons des ruisseaux glaciers du monde entier dans le but de décrypter la biodiversité de ces écosystèmes en voie de disparition. « Ce travail de recherche unique, qui combine des expéditions intenses sur le terrain et des analyses génomiques, fait de nous les premiers à étudier systématiquement le microbiome de ces écosystèmes, qui sont en train de changer avec la fonte des glaciers, » rappelle Tom Battin.

L’expédition Vanishing Glaciers touche bientôt à sa fin. Une dernière étape est prévue cet été en Alaska. Un important travail d’analyse se poursuivra à l’EPFL. Les scientifiques n’ont en effet analysé que 20% des données recueillies sur plus de 150 cours d’eau alimentés par des glaciers du monde entier. Les futures analyses permettront de déterminer précisément comment leur microbiome est modifié et quelles en sont les ramifications.

Références :

Pour en savoir plus sur le projet « Vanishing Glaciers »:

lire le communiqué de presse de l’EPFL

Photos :

Vignette – Le glacier Shackleton en Nouvelle Zélande – Crédits : Matteo Tolosano, EPFL

Image au centre – Storjuvbreen en Norvège – Crédits : RIVER lab, EPFL

© Université du Luxembourg / EPFL