Nous devons surveiller le virus de près

  

publié le 18 février 2021

La technologie à ARNm est souvent évoquée dans le contexte du développement des vaccins contre le SARS-CoV-2. Stephanie Kreis, professeur au sein du département de Sciences de la vie et médecine, est virologiste de formation et travaille actuellement sur le cancer. Dans cette interview, elle nous explique comment les mutations du virus pouvaient affecter les stratégies de vaccination actuelles et futures.

 

Pouvez-vous nous expliquer brièvement ce qu'est un virus et comment il agit ?

Un virus est une petite particule dans laquelle le matériel génétique, sous forme d'ARN ou d'ADN, est encapsulé par des lipides et des protéines. Comme ils ne peuvent pas vivre de façon autonome, les virus ne sont pas considérés comme des organismes vivants en tant que tels. Ils doivent infecter une cellule hôte et utiliser la machinerie et les ressources moléculaires de celle-ci pour se répliquer et infecter d’autres cellules. Il existe des milliers de virus différents dont beaucoup sont encore inconnus. En général, chaque virus a une affinité envers un hôte spécifique ou un type de cellule particulier et n'infecte donc que certaines espèces, dont l'Homme dans certains cas.

Une infection se déclenche lorsque les protéines de surface du virus se fixent à des récepteurs spécifiques de la cellule infectée. Dans le cas du SARS-CoV-2, le nouveau coronavirus, il s'agit de la protéine virale dite « spike ». Elle se connecte à l'ACE-2, une molécule présente sur de nombreux types de cellules dans notre corps. Après s'être fixé à ce récepteur, le virus libère son propre matériel génétique (ARN) dans nos cellules et cet ARN sert de mode d’emploi pour générer et assembler de nouvelles particules virales. En fait, les virus ont la capacité de transformer nos propres cellules en usines de production de virus. Les particules libérées vont ensuite à infecter d'autres cellules et finalement d'autres individus. Heureusement, notre système immunitaire dispose de plusieurs stratégies adaptées pour faire face à une infection et pour contenir puis éliminer le virus.

Comment la vaccination peut-elle renforcer la réaction immunitaire ?

En exposant notre organisme à un virus atténué ou à une partie d'un virus (comme la protéine « spike ») lors de la vaccination, nous stimulons notre système immunitaire afin qu'il puisse activer ses lignes de défense. La première vaccination bien documentée date de 1796, quand Edward Jenner a vacciné un jeune garçon en Angleterre contre le virus de la variole. Depuis, plus de 200 ans de recherche ont abouti à la mise au point de nombreux vaccins qui ont probablement sauvé plus de vies que n’importe quelle autre intervention clinique.

Comment fonctionne un vaccin exactement ?

Notre système immunitaire reconnaît les protéines virales injectées, appelées antigènes, et cela entraîne une réponse très spécifique puis la production d’anticorps capables de détecter ces antigènes. Ainsi, en cas d'infection réelle par le virus après la vaccination, notre système immunitaire pourra réagir beaucoup plus rapidement et de manière plus ciblée contre ce virus. De cette façon, l'intrus n'aura pas le temps de se répliquer massivement, ce qui nous rendrait malade. Si notre système immunitaire n'est pas stimulé par un vaccin ou par une infection antérieure, les cycles de réplication virale sont généralement plus rapides que notre réponse immunitaire, de sorte que nous développons des symptômes et tombons malade.

Les virus mutent constamment et, si la composition des antigènes clés d’un virus est modifiée, l'immunité acquise précédemment peut être affaiblie. Elle ne disparaîtra probablement pas complètement ni soudainement, mais il est possible que les nouveaux variants du virus ne soient plus reconnus efficacement par notre système immunitaire. Ce phénomène est régulièrement observé avec les virus de la grippe.

Pourquoi et à quel niveau ces mutations se produisent-elles ?

Les virus à ARN tels que le SARS-CoV-2 mutent constamment de manière plus ou moins aléatoire. La plupart de ces mutations ne modifient pas la composition ou la forme du virus et ne sont pas désavantageuses pour l'hôte. Toutefois, dans les rares cas où certains mutants générés de manière aléatoire confèrent au virus un avantage en matière de survie, en lui permettant de mieux s'adapter à son environnement ou encore d'échapper à la réponse immunitaire ou à un traitement médicamenteux, ces variants prévaudront. Il s'agit d'un processus évolutif normal, que l’on observe chez les virus mais aussi chez tous les organismes vivants, y compris l’être humain. La seule différence est que les virus, en particulier les virus à ARN, mutent beaucoup plus fréquemment. Il est donc important de surveiller régulièrement les séquences génétiques des virus pathogènes. C’est indispensable pour pouvoir réagir rapidement et de façon adéquate quand il devient nécessaire de modifier les formulations des vaccins existants. Ces études d'épidémiologie moléculaire sont réalisées dans le monde entier, depuis de nombreuses années déjà, pour plusieurs virus importants. Nous allons maintenant devoir ajouter les coronavirus à cette liste de virus surveillés.

Le variant britannique du SARS-CoV-2, l'un des premiers variants mentionné dans les médias, a acquis de petites modifications au niveau de la protéine « spike » qui est la cible des anticorps conçus pour neutraliser le virus. Cette protéine « spike » est constituée de plus de 1200 acides aminés, les éléments constitutifs de toutes les protéines. En fonction des acides aminés qui sont supprimés ou échangés, l'impact sur notre réponse immunitaire peut être plus ou moins important. D'après ce que nous savons pour le moment, les vaccins actuels protègent bien contre ce variant britannique mais pourraient être légèrement moins efficaces contre d'autres variants.

Comment adapter la stratégie de vaccination assez rapidement pour faire face aux variants ?

La nouvelle technologie de vaccination basée sur l'ARNm pourrait permettre de réagir rapidement face à ces nouveaux variants. En effet, l'ARNm qui code pour la fabrication de la protéine « spike » du SARS-CoV-2 peut facilement être adapté afin de coder pour d'autres protéines virales ou pour la protéine mutée. Comme les séquences d'ARNm utilisées sont synthétiques (produites en laboratoire), elles pourraient être adaptées pour inclure les nouvelles séquences présentes dans les variants britanique, sud-africain ou autres. Il serait même envisageable de combiner plusieurs ARNm différents dans un seul vaccin. C'est un développement intéressant et très prometteur qui sera utile dans la lutte contre les coronavirus mais pas uniquement.

La technologie à ARNm a-t-elle été utilisée dans des vaccins auparavant ?

Les vaccins contre le SARS-CoV-2 développés par les sociétés allemandes BioNTech, CureVac et la société américaine Moderna sont les premiers vaccins à ARNm approuvés dans le monde. Cependant, des entreprises comme BioNTech travaillent sur des thérapies à base d'ARNm depuis plus de dix ans. Il est intéressant de noter que ce nouveau type de traitement a été initialement développé contre le cancer : plusieurs études cliniques utilisant des traitements à base d'ARNm ont obtenu des résultats prometteurs chez les patients cancéreux à un stade avancé. De plus, les profils de sécurité et les évaluations de ces traitements à base d'ARNm ont généralement été très bons, même chez des patients gravement malades. Les connaissances acquises grâce à ces études cliniques ont été très importantes au début de l'année dernière lors de l'adaptation de la technologie à ARNm pour les vaccins contre le SARS-CoV-2. Compte tenu des données prometteuses sur les traitements anticancéreux à base d'ARNm et du succès actuel des vaccins, je suis sûre que nous verrons à l'avenir davantage de traitements à base d'ARNm.

Il est important de souligner que la technologie à ARNm avec tous ses composantes – les modes d'administration, la synthèse, la protection et la modification des ARNm, etc. – existe depuis un certain temps. Les adaptations rapides nécessaires à son utilisation dans un vaccin efficace ont été rendues possibles par la pression exercée par la pandémie qui a engendrée les efforts concertés et le soutien financier de toutes les parties prenantes. Les essais cliniques qui ont débuté au printemps 2020 ont été réalisés conformément à une réglementation standard commune. Ces essais ont impliqué plusieurs dizaines de milliers de volontaires dans le monde entier et ont montré que les composants nécessaires de notre système immunitaire sont activés avec succès pour assurer une protection contre le virus. En outre, les effets secondaires observés et attendus étaient dans l'ensemble très légers ou absents. 

Qu'est-ce que cela signifie pour la stratégie de vaccination actuelle ?

Nous disposons de vaccins à ARNm innovants, très efficaces et sûrs, et bientôt plusieurs autres vaccins basés sur des technologies utilisées précédemment vont suivre. Tous les vaccins approuvés en Europe ont fait l'objet de tests approfondis et peuvent être considérés comme sûrs et efficaces pour prévenir les infections par le SARS-CoV-2. Les possibles effets secondaires très légers sont de loin compensés par les avantages de la vaccination, non seulement pour les individus mais aussi à l’échelle des populations. Bien sûr, nous ne savons pas encore si des effets secondaires à long terme pourraient apparaître mais, compte tenu des connaissances que nous avons sur les vaccins en général et sur la biologie de l'ARNm en particulier, c’est très peu probable. D'autre part, les potentiels effets à long terme entraînés par la maladie COVID-19 sont probablement beaucoup plus graves et fréquents.

Enfin, plus le virus circule longtemps avec un nombre de cas aussi élevé dans le monde, plus les chances sont grandes de voir apparaître de nouveaux variants potentiellement plus nocifs. Une couverture vaccinale élevée est le moyen le plus efficace de mettre fin à ce cercle vicieux et de nous permettre à tous de retrouver une vie normale.

 

Rencontre avec Stephanie Kreis, professeur au sein du département de Sciences de la vie et médecine

Stephanie Kreis est professeur associé au Département des Sciences de la vie et médecine de l'Université du Luxembourg. Elle est virologiste de formation et se concentre actuellement sur la recherche sur le cancer.

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